Un des acteurs clés de la société civile, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), vient de proposer un projet de développement alternatif, fruit d’un travail sur le terrain qui a duré trois ans.
Le modèle de développement alternatif est, toujours, une question d’actualité. Un projet tant souhaité dont l’idée n’a pas encore pris forme. Et on ne cesse de croire fort que les plans socioéconomiques, adoptés depuis bien longtemps, ont fini, en 2011, par attiser les tensions et mettre le pays à feu et à sang. Au point que le régime politique qui y régnait tomba, laissant traîner derrière l’espoir du changement et de la réforme. Mais, jusqu’à nos jours, aucune alternative, si sérieuse soit-elle, n’a été trouvée. Sauf que certaines propositions émanant de toutes parts sont restées figées, déçues par l’absence de volonté et du suivi des gouvernements post-révolution. Dix ans plus tard, on n’a pas bougé d’un iota. Pire, on continue à mâcher l’ancien modèle de développement, lequel avait tant creusé les inégalités et appauvri de plus en plus des régions et populations. Où allons-nous ? Une course vers l’inconnu !
Un des acteurs clés dans la société civile, le Ftdes, Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, vient de proposer un modèle de développement alternatif, résultant d’un travail sur le terrain qui a duré trois ans. Une trentaine d’économistes et divers spécialistes ont contribué à tracer les contours d’un projet global censé relancer l’économie et répondre aux attentes des régions. Un projet «juste, durable et démocratique», lit-on dans l’étude réalisée à cet effet, sous l’égide de l’économiste Abdeljalil Bedoui, membre dudit forum. Elaborée en sept axes majeurs, l’étude du projet a fait un tour d’horizon des questions du développement, dans la perspective de redistribuer équitablement les fruits de la croissance et favoriser un climat d’investissement générateur d’emplois. Ceci étant, il a fallu partir du diagnostic de l’état des lieux pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Pourquoi les choix précédents ont-ils échoué ? Cela est dû, comme l’a bien montré le premier chapitre, aux déséquilibres financiers et à la régression du rôle de l’Etat au profit d d’une logique marchande qui n’a pas été suivie par une dynamique dans le secteur privé. Ce qui avait négativement impacté l’évolution des indicateurs d’investissement et d’emploi. D’autant plus que la mondialisation n’a pas été sans effets néfastes sur la marche de l’économie locale.
Un plan d’urgence
Quelle alternative du développement en ces temps de crise ? Quels défis et quels enjeux à sa mise en œuvre? Dans le deuxième chapitre, il y a intérêt d’agir à court et long termes. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Il importe, ici, de favoriser un nouveau climat mieux adapté à l’action. Car, l’actuel modèle du développement n’est plus un cadre idéal pour créer la relance économique. Soit un plan d’urgence basé sur certaines priorités : la lutte contre la corruption, adoption des projets de loi sur l’état d’alerte économique et l’enrichissement illicite, la chasse aux contrebandiers de devises, l’obligation du devoir fiscal, création d’une nouvelle monnaie, suspension d’importation des produits de luxe, renégociation des conventions commerciales (Aleca), motivation des étrangers à ouvrir des comptes en devises. Et bien d’autres mesures préalables à une véritable transition économique susceptible de constituer un système de production à taux de croissance élevé et durable. Quant au troisième axe du projet, il a mis en avant la productivité dans les secteurs industriel, agricole et de services. L’économie verte dans ses aspects bleu et forestier a besoin d’être valorisée.
Réforme nécessaire
La réforme des entreprises publiques fait l’objet du quatrième axe. Une nécessaire réforme qui tient compte de l’informel. L’économie sociale et solidaire (ESC) semble aussi de mise, d’autant qu’elle offre de nouvelles perspectives professionnelles. Toutefois, l’ESC n’a rien à voir avec l’expérience des coopératives adoptées dans les années 60. Son échec fut, alors, cuisant, souligne le Ftdes. Le cinquième axe s’intéresse à la redistribution des richesses et à la réalité de la question de justice sociale. L’étude de ce projet alternatif a passé en revue les évolutions constatées à ce niveau lors de la période de transition libérale en Tunisie. Et là, il convient de comprendre la corrélation entre les richesses et la croissance, l’ouverture économique et les dépenses publiques et d’expliquer le recul de l’intervention de l’Etat face à la marginalisation de la question sociale. S’ensuivirent, par conséquent, un fardeau fiscal et un déclassement de l’éducation, de la santé, de l’emploi et de la protection sociale.
En quête d’un dialogue national
Nos relations de coopération avec l’extérieur sont à revoir, persiste et signe le Ftdes, et ce, afin de servir les objectifs stratégiques du développement national. Lumière a été également faite sur nos partenariats longtemps établis avec l’Europe, le Maghreb et l’Afrique. Les relations tuniso-européennes sont qualifiées de controversées. Celles engagées avec nos voisins maghrébins semblent plutôt sous-exploitées. Alors que le rêve est jugé perdu sur le marché africain. L’idéal est de créer de nouvelles relations internationales qui sous-tendent le modèle du développement alternatif. Son financement, comme l’analyse le dernier chapitre, devrait se baser sur des moyens et sources viables : promotion de l’épargne, amélioration du rendement du système bancaire, développement de la microfinance, restructuration du secteur d’assurances, renforcement du marché des valeurs et le recours judicieux au financement étranger.
En tout cas, «ce projet, édité en plus de 350 pages, n’est nullement une recette toute faite, mais un avant-goût stimulant l’appétit d’un dialogue national sérieux et responsable», déduit l’étude. Soit un dialogue rassembleur qui réunit toutes les parties intervenantes pour réfléchir sur un modèle de développement fondé sur un nouveau pacte social en mesure de relever les défis et réaliser les ambitions et les acquis constitutionnels aussi légitimes. Or, dans ce contexte politique tendu, l’idée d’un dialogue national ne tient pas la route.